Le paradoxe du mot école par Mr Badji

M. BADJI « savoir pour mieux servir »
Le paradoxe du mot école
M’inscrivant dans ma logique sur l’analyse des problèmes sociaux, le vent de zéphyr me transporte à présent dans mon terrain de chasse à savoir la problématique du mot école. Dans son sens large, l’école est aujourd’hui définie comme un établissement où l’on donne un enseignement collectif ; je dirai même un lieu qui consiste à accompagner les apprenants et de les permettre surtout de développer leurs aptitudes naturelles pour paraphraser ainsi Jean Jacques Rousseau dans son Emile ou de l’Education. Cette approche est, certes, compréhensive, mais il n’en demeure pas moins qu’elle présente aussi des insuffisances alarmantes. C’est la raison pour laquelle notre étude s’inscrira dans la perspective d’une démonstration de ce paradoxe que certains, avant nous, n’ont pas manqué de relever. Beaucoup d’entre vous me diront comment un enseignant comme moi se permet d’entreprendre un tel chantier ; alors qu’il est au cœur même de ce débat. C’est tout à fait normal, car vous êtes dans votre droit de me dire, sans complexe, qu’il est important que nous préservions les intérêts de l’enseignant.
Cependant, dans un autre sens, nous nous voyons dans l’obligation de nager à contrecourant tout en étant aux antipodes de certaines remarques, d’autant plus que l’enseignant est, aussi, celui qui se mue selon les exigences du temps pour apporter son grain de sel aux attentes des populations qui s’interrogent et s’inquiètent sur l’avenir de leurs enfants ; l’enseignant est, aussi, celui qui se voit dans l’obédience et surtout celui qui, de par ses recherches autonomes, conjugue ses efforts pour donner sens à la vie de ses élèves. Il est, aussi, celui qui, en accord avec son entendement, apporte de la lumière à ce peuple frappé de cécité acquise ou innée. Autant d’actes salutaires que louables. Mais, quand nous parlons de l’école aujourd’hui, il faut voir, dans ce chantier, un ensemble qui se subdivise par des sous-ensembles notamment des parents, des élèves, des enseignants, des inspecteurs d’académie et surtout des autorités étatiques. Ainsi, tout cet arsenal présente des tâches paradoxales qui nous motivent à réagir autrement, non pas pour faire plaisir à ceux qui nous lisent, mais plutôt dans le souci de souligner une vraie problématique. Ainsi pourquoi pensons-nous que l’école constitue un paradoxe ? L’école devrait-elle se présenter comme un lieu d’échange plutôt qu’un endroit d’asservissement ? Pourquoi l’apprenant doit-il éprouver constamment une angoisse existentielle et transversale qui le contraint à accomplir des tâches malgré lui ? Un tel questionnement fera l’objet d’analyse dans de cette étude qui, à mes yeux, permettra à nous autres éducateurs de voir notre part du gâteau sur le sort des enfants qui soumettent tous leurs espoirs escomptés sur nos mains, en tant qu’éducateur. Parfois, nous éprouvons un sentiment d’angoisse quand nous pensons comme Mariama Bâ « déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat ». En d’autres termes, nous dirons plutôt que formater une tête d’un enfant est un crime contre l’humanité ; car l’enfant a plutôt besoin qu’on l’aide à développer ses facultés mentales, et cela dans une gestion sobre et vertueuse.
Ainsi, notre objectif, dans cette étude, est de cerner le problème qui empêche les enfants d’avoir un cadre épanoui dans les enseignements-apprentissages, et surtout en relation avec leur besoin naturel ; de promouvoir, aussi, des pistes qui, certes, seront susceptibles d’accompagner les enfants vers une réussite et vers une insertion sociale avec moins de difficultés ; de rappeler à mes chers collègues que les enseignements-apprentissages aujourd’hui ont pour mission de placer l’enfant au centre des préoccupations pédagogiques et non d’exercer un rapport de force, de domination dans l’exercice de la transmission du savoir.
Pour ce faire, nous montrerons d’abord, de manière générale, que le mot école reste un paradoxe dans ce qui est de son application actuelle. Ensuite, nous essayerons de situer les parts de responsabilité sur ce qui se passe à l’école. Et, enfin, dans notre dernière intervention, nous proposerons des palliatifs qui, certes, ne seront pas exhaustifs, mais, aideront, je suppose, certains collègues ou autres personnes désirant « parfaire » l’éducation de leurs élèves ou enfants. Alors, essayons de le montrer dans ces lignes suivantes.
Saviez-vous quel est l’étymologie du mot école ? Je vous la donne. Ainsi, même son sens premier témoigne une lueur de paradoxe, car il a pour signification primaire « arrêt du travail ». Rappelons-le que ce mot a été d’abord d’une source latine qui vient du mot « schola » c’est-à-dire « loisir studieux», qui est issu du grec « scholê » signifiant alors « arrêt du travail» comme on l’a susmentionné. De cette définition, on peut retenir deux interprétations :
D’une part l’école n’est rien d’autre qu’un lieu qui consiste à ne pas travailler, à ne rien faire. Alors, sur ce premier constat, nous pensons qu’il y a problème, car notre conception d’aujourd’hui est tout autre. Elle est perçue présentement comme un lieu spécifique où l’on enseigne les éléments des lettres, des sciences, des arts ou du moins un établissement d’un ordre plus élevé ou d’un ordre plus spécifique. C’est ainsi qu’on parle de l’école des beauts-arts, l’école polytechnique, l’école normale, l’école d’application etc. Ainsi, il faut retenir à ce niveau que notre conception actuelle sur l’école n’est rien d’autre qu’un lieu d’apprentissage collectif. C’est ce qui est en déphasage total avec son sens premier. Par conséquent, on aurait dû dire que l’école devrait être un lieu où l’on ne doit pas travailler, un refuge qui offre à l’enfant de faire ce que bon lui semble pour garder son équilibre social. Mais, tel n’est pas le cas, aujourd’hui, pour l’apprenant qui voit l’école comme un lieu de rapports de force et de servitude, un lieu d’échec et de déperdition. Donc, nous voyons dès à présent la dimension paradoxale et/ou antithétique qui s’invite dans ce mot école.
D’autre part, cette assertion démontre que l’école devrait être perçue comme un lieu de loisir, de plaisir. Elle doit être surtout un endroit d’attraction érotique qui donne, de manière générale, une satisfaction aux enfants, d’autant plus que son sens de « loisir studieux » trouve ici sa place. En général, on peut dire que le savoir est perçu, pour eux, comme un dégoût constant qui empêche leur liberté d’agir, de voir et de faire. Alors que cette tâche immense, c’est-à-dire le besoin de connaître, devrait être plutôt qu’un acte de plaisir permettant aux enfants de se délecter avec un plus grand bonheur. Mais, tel n’est pas le cas. Il faut dire à qui doit l’entendre que le savoir est étroitement lié au sentiment plaisant. Il doit être un acte hautement agréable comme le souligne Michel Foucault quand on lui avait posé la question par rapport à l’école. Ainsi, il répond positivement que le savoir doit être comparé à l’amour, c’est-à-dire une sorte d’érotisation du savoir. Si l’enseignant est incapable de révéler cela, alors, il en découlera dans son acte un tour de force. Autrement dit, les apprenants, en toute circonstance, devraient éprouver cette frénésie qui leur excite du plaisir comme on fait l’amour. C’est dans ce sens qu’il nous dit : « Imaginez que les gens aient une frénésie de savoir comme ils ont une frénésie de faire l’amour». Ainsi, si l’enseignant est, à mesure, capable de le faire, de le transmettre aux apprenants, nous pensons qu’il y aurait moins de gens qui resteront dans la touche marginale de l’école. Il y aurait, aussi, moins de jeunes qui auront une appréhension pessimiste à propos de cet endroit. Donc, ce manque d’appétit du savoir est peut être lié à ce désagrément constant qui se passe à l’école. Elle devrait être plutôt qu’un lieu de loisir, et ni un lieu d’asservissement ni de contraintes. Une telle position est mise en exergue par Roland Barthes qui le souligne, aussi, dans son ouvrage intitulé le Plaisir du texte. De ces deux points de vue développés, nous pensons qu’il faudrait revoir donc le sens que l’on donne, aujourd’hui, ce mot ; nous pensons aussi qu’il faudrait veiller scrupuleusement sur nos rapports avec ces apprenants, car, comme le dit Rousseau, nous devrions être des précepteurs qui conduisent l’enfant jusqu’à son âge de mariage. C’est ce qui nous amène dans notre deuxième point, c’est-à-dire voir quelle est la part de responsabilités des acteurs socio-éducatifs.
Pour ce qui est de cette partie, nous essayerons de montrer que ce paradoxe est, aussi, manifeste dans toutes ces étapes socio-éducatives où l’enfant fait ses humanités. Beaucoup sont les gens qui se sont attardés sur la question en voulant situer les responsabilités notamment chez les parents, les enseignants et tant d’autres acteurs qui se disent et se proclament comme des vrais catalyseurs de ces apprenants. Est-ce que vrai ? Nous pensons le contraire. Pourquoi ?
D’abord, si nous prenons les catégories parentales, nous penserons, tout de suite, qu’elles ont une responsabilité peu louable, car leurs enfants reçoivent trop de pression, et cela sous diverses formes : d’une part, en demandant à l’enfant de prendre le chemin de l’école, le parent voit dans cet acte sa propre réussite. Il oublie parfois qu’entre lui et l’enfant, il y a une grande différence. D’autre part, il met dans l’éducation de son enfant sa propre gloire comme si ce dernier est un moyen qui lui permet d’atteindre ses propres objectifs. C’est là que nous supposons qu’il se trouve un véritable problème de contrôle parental. Le parent devrait comprendre que l’apprentissage de l’enfant, depuis le bas âge jusqu’à sa réussite, doit être une volonté qui émane de son propre gré, c’est-à-dire il devrait l’aider plutôt, de manière désintéressée, développer ses capacités naturelles. Vouloir les forcer, selon notre entendement, serait une erreur grave, car nous oublions, parfois, que l’enfant ne grandit pas dans les mêmes circonstances que nous autres. Mais, aussi, il faut rappeler que l’enfant a besoin de construire son propre chemin sans aucune pression parentale, ou sinon, nous le priverions de son droit naturel. Une telle position avait été appréciée au préalable par Jean Jacques Rousseau qui nous dit que : «Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme ». Déjà on voit tout de suite la part de responsabilité de la société, et plus particulièrement de son environnement parental.
En outre, on dirait aussi que les parents exercent ou du moins donnent à leurs enfants un effet d’angoisse dans cette quête ; d’autant plus que chaque enfant a toujours peur de l’échec. Peur, par ce qu’il ne veut surtout pas déshonorer la réputation de sa famille. On voit donc, par-delà, cette vie assujettie de ces gamins. Les parents deviennent, alors pour eux, et cela de manière consciente ou inconsciente, des ennemis. Enfin, certains parents voient, dans l’exercice d’apprentissage de leurs enfants, un investissement durable qu’ils devraient, vaille que vaille, récolter les fruits de leurs efforts. Voilà, autant des raisons qui nous montrent clairement que l’autorité parentale, dans une certaine mesure, ne favorise pas l’épanouissement de l’enfant. Cette situation est alors paradoxale, car, en voulant trop de la réussite de l’enfant, nous favorisons plutôt sa déperdition. Donc, chers parents revoyons-nous ensemble nos comportements vis-à-vis de nos enfants.
Par ailleurs, nous arrivons enfin, chez l’enseignant. Si l’on se base sur la pédagogie spéculative de Rousseau, on dirait qu’il est important d’adopter sa méthode pédagogique, car selon Lagard et Michard, Emile de Rousseau, contient beaucoup d’idées excellentes : « l’adaptation de l’enseignement aux facultés des enfants, la portée de la connaissance sensible et du travail manuel, les vertus de l’observation, l’enseignement actif, l’incidence des méthodes pédagogiques sur la formation morale ». Ainsi, même si cette conception pourrait être perçue comme de la pure théorie, il n’en demeure pas moins que ses conseils sont toujours d’une pertinence significative, car il reste, aujourd’hui, comme l’un des précurseurs de la pédagogie moderne.
Cependant, si l’on tient compte, aussi, de ce qui se passe dans nos écoles à présent, nous dirions qu’elles nous présentent une image paradoxale peu louable. Les enseignements seraient, à présent pour moi, aux antipodes de notre sens de la pédagogie. Nous manifestons, dans ce projet éducatif, un rapport de force et de pouvoir, car l’enseignant a toujours cru qu’il devrait être le seul détenteur du savoir. Ainsi, Michel Foucault nous montre, à ce niveau, que ce caractère de l’enseignant constitue l’étape de la culpabilisation, c’est-à-dire vouloir être le seul maître du savoir. A ce niveau, nous devrions faire attention ; car nous allons croire que nous sommes en train de transmettre du savoir à l’enfant alors que nous ne faisons que manifester émulation glorieuse. Néanmoins, nul ne détient le monopole du savoir, sinon, à quoi sert d’aller enseigner. Je pense que c’est en enseignant qu’on s’enseigne aussi. D’ailleurs une telle position s’imprime et s’exploite dans cette intervention de Jean Jures qui nous dit qu’ « On n’enseigne pas seulement ce que l’on sait, on enseigne ce que l’on est ». En termes plus clairs, nos enseignements devraient être en proportion avec ce que nous sommes. En un mot, nous devrions être des miroirs fidèles, au regard, de nos élèves. Donner des enseignements, c’est, aussi, promouvoir l’interaction équipollente avec ses élèves ; sinon nous serons toujours à la fois dans les classes sujet et objet d’enseignement.
En plus, non seulement, l’enseignant est celui qui dit à l’apprenant que ce que tu devrais savoir, moi je le sais déjà, mais aussi il le soumet à des épreuves tout en lui signifiant ou du moins en le sommant de les respecter scrupuleusement. Du coup, le savoir scolaire est, donc un savoir diriger, un savoir qui le contraint dans ses tâches pédagogiques. Est-ce que là, c’est donné l’occasion à l’enfant de développer son appétit du avoir ? Je pense que non. Ainsi, voilà autant de raisons qui nous motivent à nous inscrire dans ce sentier qui, certes, rocailleux, mais salutaire. Nous devrions, donc, veiller sur nos rapports socio-éducatifs, prévaloir les intérêts de l’apprenant au détriment des nôtres, assainir le métier de l’enseignant, l’anoblir, car il présente autant de risques que celui du médecin pour paraphraser, ainsi, Mariama Bâ qui nous dit : « Le nôtre comme celui du médecin, n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie, et la vie c’est à la fois corps et esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat». L’enseignant ne doit nullement imposer son savoir à l’enfant, mais plutôt, il devrait créer un cadre favorable d’échange où ce dernier pourra, peut-être, se découvrir tout seul à travers de ses propres compétences. Si nous nageons dans ce sens, nous pensons que ce paradoxe de l’enseignant se muera en une idée salvatrice pour le bonheur de l’accomplissement de l’apprenant et de lui-même.
Enfin, nous essayerons, tant bien que mal, de proposer de manière succincte un certain nombre de palliatifs qui seraient loin d’être exhaustifs :
-Favoriser, bien sûr, l’interaction entre les acteurs du triangle pédagogique,
-Placer l’enfant au centre des préoccupations pédagogiques,
-Faire de l’école un lieu de loisir et non pas un endroit d’asservissement,
-Faire croire toujours à l’enfant qu’il est le maître de son destin,
-Aider l’enfant à développer ses aptitudes naturelles sans les corrompre.

Au demeurant, ce qu’on peut retenir dans cette étude, c’est que nous avons voulu démontrer le paradoxe existentiel qui sommeille dans ce mot que nous disons communément « école ». L’opinion commune définissait ce mot, avec toutes ses lettres de noblesse, en nous faisant croire qu’elle serait un lieu de rapport de force, de domination hiérarchique, de sanction etc. ; c’est-à-dire que l’école ne peut faire un lieu d’épanouissement pour l’enfant. Ce qui, à notre niveau est tout à fait faut. Personnellement, nous pensons que ce mot draine ou du moins engrange, dans ce grand bourbier de la société, des connotations qui l’empêchent d’avoir une appréhension beaucoup plus claire. Nous dirons qu’il est, au final, un mot paradoxal, car son usage actuel est aux antipodes de son sens primaire. Toutefois le débat reste ouvert, car pour d’autres l’école ne demeure-t-elle pas ce lieu de prédilection pour un meilleur apprentissage de l’apprenant ? Nous y reviendrons…
M. BADJI, Professeur de Lettres Modernes
Au Lycée de DIOUDE DIABE
IA SAINT-LOUIS

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