Objectif : L’élève sera capable de déterminer les rapports de la conscience et de l’inconscient dans le comportement de l’individu.
Grâce à la conscience, l’homme parvient à se détacher du monde à la différence de l’animal. Par elle, non seulement il entre en relation avec le monde et les autres mais encore il se saisit comme le sujet des actes qu’il pose. Ainsi, l’homme semble avoir une claire lucidité de ce qu’il est et fait. Mais tous les actes que l’homme pose sont-ils toujours guidés et éclairés par la conscience ? Le sujet humain est-il toujours maître et possesseur de lui-même ? Il ne le semble pas comme l’atteste l’hypothèse freudienne de l’inconscient de sorte que beaucoup de choses lui échappent. Pour Freud en effet, l’essentiel de la vie psychique de l’homme est constitué et déterminé par l’inconscient. Cependant, si on accepte cette théorie freudienne, peut-on encore maintenir l’idée d’un sujet libre et responsable de ses actes ?
I- LA CONSCIENCE
1- Qu’est-ce que la conscience ?
a) Conscience psychologique et conscience morale
Le mot conscience vient du latin « cum scientia » qui signifie « accompagné de savoir ». Etre conscient en ce sens, c’est agir, sentir ou penser et savoir qu’on agit, qu’on sent ou pense. On peut alors définir la conscience comme l’intuition c’est-à-dire la connaissance immédiate qu’a un sujet de son activité psychique, de ses actes, du monde et de lui-même, autrement de ce qui se passe en lui et en dehors de lui.
Il s’agit là de la conscience psychologique qu’on divise en conscience spontanée et en conscience réfléchie.
La conscience spontanée est l’impression première qui accompagne tous les actes du sujet et par laquelle ces actes sont simplement éprouvés. Autrement, il y a conscience spontanée lorsque la conscience se porte vers l’objet auquel on fait attention à un moment particulier (si j’ai faim et je dis « j’ai faim », cela montre que je fais attention à ma sensation de faim et que j’en ai ainsi conscience). La conscience spontanée est la simple présence du sujet à lui-même, le « simple sentiment de soi ».
La conscience réfléchie est le retour critique du sujet sur ce qu’il pense, ce qu’il vit, sent ou fait pour l’analyser. Le sujet a ici conscience d’être conscient ; il porte l’attention sur l’état de conscience lui-même, c’est-à-dire sur ce qui se passe en lui.
Il convient par ailleurs de distinguer la conscience psychologique de la conscience morale. Celle-ci est la propriété qu’a l’esprit de porter spontanément des jugements de valeur, c’est-à-dire de distinguer ce qu’il convient ou non de faire. C’est par elle que nous avons une idée du bien et du mal.
La conscience morale, c’est ce qui permet à l’homme d’approuver ou de rejeter une situation ou un acte ; c’est elle qui lui permet face à une situation qu’il a trouvée révoltante de s’en indigner et de s’y opposer. C’est aussi elle qui explique le sentiment de faute et les remords qu’on a par exemple quand on a mauvaise conscience ; ou a contrario elle donne une haute estime de soi lorsqu’on a bonne conscience. La conscience morale, c’est cette voix intérieure qui nous détourne de mal agir et nous incite à bien agir. Elle est la condition de la liberté et de la responsabilité inséparables de l’action morale ; autrement, c’est parce que l’homme possède la conscience qu’il peut être considéré comme un sujet libre et responsable de ses actes, donc comme un sujet moral.
Dire de l’homme qu’il est libre suppose qu’il est capable, avant d’agir, d’opérer un choix en toute connaissance de cause, en toute conscience ; et c’est parce qu’il est capable d’un tel choix conscient qu’il peut être tenu pour responsable des actes qu’il pose (pour celui qui en répond, qui les assume comme siens). Alain (1868-1951) en s’appuyant sur la conception courante qu’on se fait de la conscience, va contester la distinction que nous avons faite entre conscience psychologique et conscience morale. Pour lui la conscience, opposition de soi à soi, retour du savoir sur lui-même, est toujours implicitement morale car elle est décision de penser. Pour Alain ce qu’on appelle conscience spontanée n’est pas véritablement une conscience humaine puisque l’animal en est aussi pourvu.
La conscience humaine se reconnaît plutôt dans la capacité qu’a le sujet humain de revenir sur lui-même comme c’est le cas dans la conscience réfléchie. Dans la conscience réfléchie, le sujet prend de la distance par rapport à ce qu’il a fait pour pouvoir l’apprécier, le juger ; c’est en cela que la conscience est opposition de soi à soi. Or, dans la conscience morale, le sujet revient également sur ce qu’il a déjà posé comme acte pour y porter des jugements de valeur. S’il en est ainsi, toute conscience humaine se ramène en définitive à la conscience morale. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir du 17e siècle avec Descartes (1596-1650) que le mot conscience auquel était attaché un sens moral comme dans le langage courant, va prendre une autre signification.
b) Le cogito cartésien
Avec Descartes, le sujet pensant devient ce à partir de quoi s’ordonne la vérité et s’organise le savoir. Cela signifie qu’aucune connaissance du monde des objets n’est possible que pour un sujet qui pense et se saisit d’abord comme pensée c’est-à-dire pour une conscience. Sa démarche est fondée sur le doute méthodique qui est un procédé consistant à remettre, par étape, en question tout ce qu’on a admis antérieurement afin d’établir la vérité sur des bases solides.
Descartes va ainsi douter de tout de telle sorte que, si une chose résiste au doute, il la considère comme vraie. Il décide donc de douter des sens qui sont trompeurs, des sciences qui comportent des erreurs et de tout ce qui lui vient à l’esprit. Il imagine même un « malin génie » qui s’acharne à le tromper. Mais à la fin, il constate qu’il y a une chose qui résiste au doute et aux machinations du « malin génie » : le fait même de douter qu’il doute, l’évidence de la pensée en acte révélant du même coup son existence. C’est ce qui va lui permettre d’affirmer « je pense, donc je suis ». Chez Descartes, la conscience se ramène à la fonction de penser que chacun peut découvrir par sa propre réflexion. Une telle pensée à l’oeuvre est toujours accompagnée du savoir de celui qui pense (autrement, quand on pense, quand quelque chose se passe en soi, on en est nécessairement conscient). Cela implique que la conscience de soi est en même temps une connaissance de soi : l’individu est transparent à lui-même non seulement parce qu’il pense mais encore parce qu’il a conscience de penser. Cette certitude amène Descartes à faire du sujet une « chose pensante » ou une « substance pensante » radicalement différente du corps – quoique intimement unie à ce dernier. Il introduit ainsi une dualité entre le corps et l’âme (c’est-à-dire la conscience) et l’homme ne se définit que par sa conscience, n’existe que dans la mesure où il est conscient de son existence pensante.
c) Conscience de soi et connaissance de soi
La conception cartésienne de la conscience ramène celle-ci à une intériorité propre à l’homme. C’est grâce à une telle intériorité que je sais mieux que quiconque (du moins j’en ai l’impression), ce que je pense ou ressens. C’est en cela aussi que je me reconnais comme un sujet unique et que je fais l’expérience de ma solitude radicale. En réalité, je ne prends conscience de moi qu’à partir des autres : c’est grâce à eux que je me découvre comme un sujet singulier, que j’ai conscience de moi. Mais avoir conscience de soi signifie-t-il avoir une connaissance de soi ? Si l’on en croit Malebranche (1638-1715), « le sentiment intérieur que j’ai de moi-même m’apprend seulement que je suis» ; il ne me montre pas ce que je suis. Le cogito exprime mon existence et non mon essence. D’ailleurs, le fait de vivre sur le mode de la première personne n’implique pas selon Kant, que la conscience soit synonyme d’intériorité. La conscience de soi n’est pas possible sans les choses extérieures au moi. Elle n’est pas une entité intérieure c’est-à-dire une substance au sens cartésien mais ce qui permet à l’homme d’unifier toutes ses représentations ; autrement ce qui lui permet de se distinguer du monde extérieur en rapportant tout à lui-même. Chez Kant, la conscience n’est plus une substance comme chez Descartes, mais une activité ayant une fonction unificatrice.
2- Les fonctions de la conscience
a) La conscience comme sélection
On prend généralement conscience des situations qui exigent un choix. Ainsi dans une tâche où elle est sollicitée, la conscience n’évoque que les souvenirs utiles à l’accomplissement de cette tâche. La conscience est alors attention à l’action et c’est pourquoi Henri Bergson (1859-1941) affirme que « toute conscience signifie choix ». On peut donc dire que la fonction première de la conscience est l’adaptation de notre organisme au réel.
b) La conscience comme synthèse
La conscience ne se contente pas de choisir les éléments nécessaires à l’action : elle les organise par une activité de synthèse. On distingue ainsi :
– une synthèse temporelle par laquelle, la conscience qui n’est pas figée dans l’instant présent, unifie le passé au présent en se tendant vers l’avenir. C’est en ce sens que Bergson dit qu’elle est un pont jeté entre le passé et l’avenir ;
– une synthèse perceptive par laquelle, la conscience rassemble et organise les données de la perception ;
– une synthèse personnelle par laquelle la conscience unifie tous ses états en les rapportant au moi. C’est grâce à une telle synthèse que l’identité personnelle est saisie malgré les changements qui affectent le corps et même le psychisme.
Au total, dire que la conscience est synthèse, c’est dire qu’elle n’est pas une simple donnée intérieure mais qu’elle est une activité tournée vers l’extérieur. C’est en ce sens que la conçoit Edmund Husserl (1859-1939).
c) La conscience comme intentionnalité
Tout comme pour Kant, pour Husserl la conscience ne se définit pas par l’intériorité, mais par son rapport au monde. La conscience est toujours visée de quelque chose, orientation vers l’extérieur ; on ne peut ainsi penser la conscience si on lui retire son objet. C’est en ce sens que Husserl affirme que « toute conscience est conscience de quelque chose ». Tout cogito (sujet pensant) porte en lui son cogitatum (objet pensé) auquel il se rapporte et se distingue. Mon enfance par exemple, dont je me rappelle à l’instant est bien la mienne ; elle n’est pourtant pas totalement moi qui m’y rapporte en ce moment où j’y pense. Husserl dira que la conscience est intentionnalité, c’est-à-dire qu’il existe une distance irréductible entre le sujet et l’objet qu’il vise, même si cet objet est le sujet lui-même. En d’autres termes, la conscience ne coïncide jamais avec elle-même ; elle est fondamentalement ouverture au passé ou au futur. Ainsi, avant d’être instrument d’une connaissance, la conscience est donatrice de sens. En effet, la conscience fait exister le monde pour nous, elle impose et développe tout un réseau de significations autour de nous orientant notre perception du monde.
Au total, par la conscience, non seulement l’homme parvient à se saisir comme sujet mais encore à se rendre familier le monde qu’il transforme pour lui conférer une signification humaine. Elle apparaît ainsi comme le guide qui éclaire les actions humaines. Mais elle n’est pas un guide infaillible car elle ne détient pas toute la vérité sur le sens de ses actes. C’est en ce sens que Nietzsche (1844-1900) affirme que « nul n’est plus que soi-même étranger à soi-même ». C’est que selon Spinoza (1632-1677) la conscience est fortement déterminée par l’état de notre corps de sorte que sa puissance en dépend. Karl Marx (1818-1883) lui, soutiendra que la conscience humaine n’a pas de réalité en dehors de la société. C’est surtout Freud qui va ébranler la conception traditionnelle de la conscience avec sa théorie de l’inconscient.
II- L’INCONSCIENT
Dans la conception traditionnelle, l’homme est défini par la pensée consciente c’est-à-dire par une activité psychique où le sujet est censé avoir un contrôle absolu de sa pensée et de sa conduite. A partir de Freud, une telle conception sera remise en cause. Pour lui, la réalité profonde de l’activité psychique est ignorée du sujet car relevant de l’inconscient ; cet inconscient constitue même l’essentiel de la vie psychique et détermine l’homme de part en part. Cependant, que deviennent la liberté et la responsabilité de l’homme s’il est déterminé par l’inconscient ? N’est-ce pas parce qu’il est considéré comme un être conscient et libre qu’on peut le tenir pour responsable de ses actes ? L’inconscient n’est-il pas alors invoqué pour fuir ses responsabilités ?
1- L’inconscient avant Freud
Le mot inconscient est habituellement utilisé comme l’adjectif venant d’inconscience. En tant que tel il qualifie au sens psychologique, un être dépourvu de conscience par nature (le caillou par exemple) ou momentanément (sous l’effet de l’anesthésie par exemple) et au sens moral, une personne non consciente des conséquences de ses actes (l’enfant, le fou) ou qui se conduit de façon irresponsable et insouciante en s’écartant des règles établies par la société (un père de famille inconscient).
Dans la perspective freudienne cependant, l’inconscient est généralement utilisé comme un substantif (un nom). Il désigne alors un domaine psychique particulier contenant des représentations (pensées, images, souvenirs) refoulées, c’est-à-dire repoussées de la conscience. Ces représentations sont régies par des mécanismes propres qui se caractérisent par l’indifférence à la réalité. L’inconscient ignore en effet le doute, la contradiction ou l’interdiction. On peut se rendre compte de cette indifférence à la logique de la réalité dans les rêves qui paraissent décousus, incohérents ou absurdes.
En tant qu’adjectif dans cette perspective, l’inconscient renvoie à ce qui échappe à la conscience tout en étant quelque chose que celle-ci peut connaître (un désir inconscient par exemple). Même si c’est avec Freud que l’inconscient acquiert le statut de concept, certains philosophes avant lui en eurent l’intuition.
Ainsi, alors que Descartes, identifiant conscience et pensée, ne reconnaissait pas l’existence de l’inconscient psychique, Leibniz (1646-1716) admettait l’existence de petites perceptions inconscientes, c’est-à-dire « des changements de l’âme dont nous ne nous apercevons pas ».
De même Bergson, identifiait l’inconscient à l’oubli par lequel les perceptions et les souvenirs qui ne sont pas utiles à l’action sont chassées de la conscience. Dans tous les cas pour ces philosophes, la conscience demeure l’instance privilégiée, l’inconscient n’est considéré que comme ce qui n’est pas encore conscient ou ce qui ne l’est plus.
Seul Nietzsche (1844-1900) soutiendra l’existence d’une pensée inconsciente mettant en question la prétention du sujet à maîtriser grâce à la conscience, ses pensées et ses sentiments. « Une pensée, écrit-il à ce sujet, ne vient que quand elle veut, et non quand c’est moi qui veux ».
2- Le psychisme humain selon Freud
a) Les deux topiques
Dans une première élaboration de la théorie de l’inconscient (dite première topique), Freud propose de comprendre le psychisme comme la coexistence de trois instances fonctionnelles :
– le conscient situé à la périphérie du psychisme qui reçoit les informations du monde (intérieur et extérieur) pour les organiser dans l’intérêt du sujet ;
– le préconscient dont les représentations ne sont pas en permanence dans la conscience mais ont toujours la possibilité d’y entrer ; le préconscient est situé entre le conscient et l’inconscient ;
– l’inconscient qui est constitué de pulsions qui sont des forces anarchiques orientant l’organisme vers la réduction d’une tension (faim, agressivité, libido). De lui-même, l’inconscient est incapable de revenir à la conscience parce qu’une résistance s’y oppose. La résistance est due à la censure qui interdit aux désirs jugés inacceptables par la conscience morale de se manifester. La censure provoque ainsi un refoulement qui est une opération repoussant et maintenant hors de la conscience les représentations liées à une pulsion dont la satisfaction n’est pas compatible avec les exigences morales reçues de l’éducation.
Dans une seconde topique, Freud présentera le psychisme comme le lieu d’un conflit permanent et constitué de trois instances :
– Le Ça, totalement inconscient, est le réservoir des pulsions et des désirs. Il est régi par le principe de plaisir qui pousse le sujet à satisfaire ses pulsions et à supprimer toute excitation pénible ;
– Le Moi qui inclut la conscience, cherche à satisfaire les pulsions du Ça tout en tenant compte des conditions imposées par le monde extérieur. Il est régi par le principe de réalité qui le pousse en raison des dangers qu’entraînerait la satisfaction des pulsions et au regard de la réalité extérieure, à résoudre les conflits qui l’opposent au Ça et au Surmoi ;
– Le Surmoi qui est formé par l’intériorisation des exigences sociales est la conscience morale, le juge du Moi.
En somme, chez Freud, l’inconscient n’est pas simplement le non conscient ; il désigne une réalité positive et dynamique. C’est d’ailleurs parce que l’inconscient est dynamique, c’est-à-dire qu’il produit des effets qui se manifestent, que Freud a été conduit à en construire l’hypothèse. Cette hypothèse s’est avérée féconde car sans elle, les données de la conscience qui sont extrêmement lacunaires, demeureraient incompréhensibles.
b) Les manifestations de l’inconscient
Il se passe en nous dans la vie quotidienne, des choses dont la signification nous échappe nous amenant à dire souvent « ça me dépasse, c’est plus fort que moi ». Ce sont là des symptômes de l’inconscient qui ne se manifeste qu’en se déguisant. Si l’inconscient se manifeste ainsi tout en se voilant, c’est parce qu’il est de nature conflictuelle. Ces manifestations sont essentiellement les rêves, les actes manqués et les conduites névro-psychotiques.
– Le rêve
Le rêve est, selon Freud, « la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique ». Le rêve résulte en effet d’un travail d’élaboration au terme duquel les désirs refoulés parviennent à s’exprimer mais tout en se déguisant pour déjouer la censure morale et pour être acceptés par la conscience. En d’autres termes, « le rêve est la satisfaction inconsciente et déguisée d’un désir refoulé ». Le rêve possède ainsi un contenu latent c’est-à-dire caché, qui est la source du rêve et un contenu manifeste exprimant de manière symbolique c’est-à-dire plus ou moins voilée le contenu latent. En interprétant le rêve on peut retrouver les pulsions qui en sont la cause.
– Les actes manqués
Ce sont des actes dans lesquels le résultat visé consciemment n’est pas atteint et se trouve remplacé par un autre de façon inattendue. On y distingue les lapsus de parole (dire un mot pour un autre), les ratés de mémoire (oublier un nom ou un rendez-vous), les maladresses de l’action (renverser un objet). Ce sont des conduites qu’on réussit habituellement et dont l’échec semble dû à l’inattention ou au hasard. Mais Freud montre que ces actes ne sont ni insignifiants ni négligeables. En réalité, l’inconscient profite d’une circonstance favorable pour se manifester en contournant le barrage que fait habituellement la censure. Par exemple le Président d’une Assemblée ouvrant la séance du jour en déclarant « je déclare la séance close » manifeste ainsi son ennui inconscient.
– Les conduites névro-psychotiques
Alors que le rêve et les actes manqués sont pour la plupart des symptômes bénins, il existe d’autres manifestations de l’inconscient qui sont de véritables maladies psychiques : la névrose et la psychose. La névrose est une maladie psychique chronique n’impliquant ni infection, ni lésion organique, ni désorganisation de la personnalité et qui s’accompagne pour le sujet d’une conscience douloureuse de son état. Elle s’explique par la situation conflictuelle entre les mécanismes de défense du Moi et les désirs inconscients. Plus précisément, elle est une défense du sujet malade contre des souvenirs intolérables liés à un traumatisme (généralement sexuel) subi dans l’enfance. La psychose elle, implique une rupture entre le Moi et la réalité puis une reconstruction délirante de cette réalité en fonction des exigences de l’inconscient. Le psychotique est délirant ou autistique mais n’a pas conscience de son anomalie.
3- Critique de la théorie freudienne
La théorie freudienne du psychisme est appelée psychanalyse. Celle-ci est une méthode d’investigation et d’interprétation dévoilant le sens inconscient des actions, des pensées et des rêves d’un sujet. Elle aboutit à un traitement médical consistant à transformer l’inconscient pathologique suivant le principe que le retour à la conscience de l’inconscient guérit les troubles mentaux. Freud considérait la psychanalyse comme la troisième révolution majeure après celles de Galilée et de Darwin ébranlant fortement l’idée que l’homme se fait de lui-même dans le monde. La théorie freudienne apprend en effet aux hommes que malgré leur sentiment de liberté, ils ne disposent pas toujours d’eux-mêmes.
Mais c’est justement au nom de la liberté essentielle à l’homme que Jean-Paul Sartre (1905-1980) va rejeter la théorie de Freud. Pour Sartre, l’homme est un sujet libre parce que conscient et totalement transparent à lui-même. Toutefois sa conscience qui est liberté, est capable de nier sa propre transparence pour s’installer dans la mauvaise foi. Celle-ci consiste pour le sujet humain à se masquer la vérité dont il est nécessairement conscient, à chercher des excuses à ses actes. C’est ce qui se passe avec l’inconscient tel que l’entend Freud, qui n’est selon Sartre qu’un processus de mauvaise foi. Celle-ci sert généralement d’échappatoire devant la difficulté d’assumer la liberté et apparaît ainsi immorale ; elle est immorale puisqu’elle nie la liberté et du même coup la responsabilité devant nos actes. Freud aurait pu rétorquer à Sartre que ce dernier n’accepte pas sa nouvelle image d’homme et son refus de l’inconscient serait même une preuve de l’existence de celui-ci.
Par ailleurs, la théorie freudienne connaît les assauts d’une critique épistémologique (c’est-à-dire au plan scientifique) de la part de Karl Popper (1902-1994). Car Freud considère la psychanalyse comme une théorie scientifique parce qu’elle a été confirmée par une multitude d’observations. Or, pour Popper, le critère de la scientificité d’une théorie réside plutôt dans la possibilité qu’on a de la falsifier c’est-à-dire de la réfuter. S’il en est ainsi, un tel critère n’est pas applicable à la psychanalyse parce qu’elle fait tout pour ne pas être infirmée, c’est-à-dire tout le contraire d’une attitude scientifique. Si on étudie de près la psychanalyse, on peut se rendre compte qu’elle a réponse à tout sur les actes humains qu’elle interprète pour leur assigner un sens. Voulant tout expliquer, elle finit par être une sorte de fourre-tout servant à expliquer n’importe quoi. A cela on peut ajouter qu’elle est fortement tributaire de l’époque et de la culture de son fondateur alors qu’une théorie vraiment scientifique doit valoir dans tous les temps et tous les lieux.
Au regard des critiques éthique de Sartre et épistémologique de Popper, la théorie freudienne semble ne plus payer de mine. Mais est-il juste de dire que la psychanalyse vise à nier la liberté de l’homme ? Et d’ailleurs, le fait qu’elle ne soit pas une science, en fait-il une discipline moins importante dans la culture humaine ?
En réalité l’objectif de Freud n’est nullement de nier la liberté mais de montrer les limites de la conscience qui se prétend totalement libre. D’ailleurs, la psychanalyse est avant tout une thérapie visant à guérir certaines maladies pour permettre au patient de reconquérir sa santé et son autonomie, autrement l’exercice plein de sa liberté.
Comme l’écrit Paul Ricoeur, « la psychanalyse est une guérison par l’esprit, le véritable analyste n’est pas le despote de la conscience malade, mais le serviteur d’une liberté à restaurer. En quoi la cure, pour n’être pas une éthique, n’en est pas moins la condition d’une éthique retrouvée là où la volonté succombe au terrible ». Que la psychanalyse ait des limites sur le plan thérapeutique, c’est à la médicine d’en juger, elle n’en reste pas moins une révolution au sein des sciences humaines par la conception nouvelle qu’elle donne de l’homme. Désormais, pour comprendre « l’homme, cet inconnu », il faut compter avec cette théorie inaugurée par Freud. Si elle a suscité des critiques, c’est surtout parce qu’elle a porté atteinte à des vérités sur l’homme longtemps tenues pour indépassables. L’inconscient n’en demeure pas moins le propre de l’homme tout autant que la conscience.
Philosophie: La conscience et l’inconscient.

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