Français au BAC : Exemple de dissertation corrigée sur le roman (2)

Sujet de dissertation sur Le Rouge et le noir

Faut-il s’identifier à un personnage pour être captivé par un roman
ou un récit ?

Vous répondrez à cette question en vous fondant sur votre connaissance
de l’œuvre Le Rouge et le Noir de Stendhal, des textes étudiés pendant
l’année ainsi que sur vos lectures personnelles.

Introduction
Lorsque Flaubert dit « Madame Bovary, c’est moi », il révèle le rapport
fusionnel qu’il entretient avec son personnage, centre de gravité du roman
autour duquel tout tourne. Il semble alors naturel pour le lecteur de
s’identifier lui aussi au personnage pour accéder au sens du roman.
[Amorce

Mais est-il nécessaire de s’identifier à un personnage pour être captivé par
un roman ? L’intérêt du lecteur pour un roman est-il réductible à son
identification à un personnage ? [Problématique]

Si l’identification à un personnage permet indéniablement au lecteur d’être
captivé par un roman, la mise à distance avec les personnages peut être
tout autant un motif d’intérêt. Mais au-delà du personnage, ne serait-ce pas
surtout l’univers autour du personnage qui captive le lecteur ? [Annonce
du plan]

I – L’identification à un personnage
permet de captiver le lecteur

A – L’identification à un personnage est une
source de plaisir pour le lecteur qui ressent les
émotions du personnage et revit même parfois à
travers lui des émotions déjà vécues.

L’identification est particulièrement favorisée lorsque le lecteur suit le
parcours social d’un personnage dans un roman d’apprentissage. En effet,
la temporalité longue des romans d’apprentissage crée un attachement au
héros dont le lecteur suit la formation de jeune adulte, la progression dans
la société et son évolution personnelle.

Dans Le Rouge et le Noir de Stendhal par exemple, le lecteur fait
connaissance avec Julien Sorel au chapitre IV du livre premier. Julien est
alors une jeune homme de dix-neuf ans, « faible en apparence », délicat,
entouré d’un père et de frères grossiers qui le rouent de coups. Parce qu’il
apparaît comme une victime, Julien attire immédiatement la sympathie du
lecteur, lançant ainsi le processus d’identification. Le lecteur est alors
captivé par l’ascension sociale de ce jeune homme qui devient un
précepteur à la mode à Verrières, entre au grand séminaire de Besançon
puis se fait remarquer à Paris dans le milieu aristocratique.
L’identification avec le personnage est facilitée par le regard omniscient du
narrateur qui analyse l’âme et les pensées de Julien Sorel : « Mais tout à
coup, Julien fut heureux, il avait une raison pour refuser ? Quoi je perdrais
lâchement sept à huit années ! » (I partie, chapitre 12). Cet accès aux
pensées du personnage permet une identification captivante pour le
lecteur.

B – Ce sont aussi les difficultés rencontrées par le
personnage, et même ses échecs, qui favorisent

le processus d’identification.

Lorsqu’un personnage rencontre des difficultés, le lecteur éprouve de
l’empathie, et cette empathie le pousse à poursuivre la lecture pour savoir
si le personnage parviendra à surmonter l’adversité.
Dans L’Assommoir de Zola par exemple, Gervaise est dans une situation
tragique : ouvrière courageuse, travailleuse, honnête, elle ne peut
échapper ni à son hérédité (ses parents sont alcooliques) ni à son milieu
social qui exerce sur elle une action destructrice. Le lecteur ne peut que
fraterniser avec Gervaise et s’intéresser à son histoire.
De même, dans Madame Bovary de Gustave Flaubert, l’héroïne va elle
aussi d’échec en échec. Jeune femme rêveuse à l’esprit romantique,
Emma Bovary n’arrive pas à s’adapter à la vie plate et prosaïque que lui
offre son mari Charles. Elle prend des amants, s’endette et finit pas se
suicider.

La fragilité d’Emma et ses déceptions la rendent proche du lecteur qui
poursuit le roman jusqu’à la fin pour savoir comment se termine l’histoire.
C – Un personnage peut aussi être captivant s’il
représente un modèle pour le lecteur.

Dans La Peste d’Albert Camus, le fléau de la Peste qui s’abat sur la ville
d’Oran symbolise le mal qui touche les hommes aveuglément. Les
différents personnages du roman incarnent des réactions possibles face au
Mal. Le Père Paneloux se réfugie dans la religion, voyant la peste comme
une punition divine. Cottard tente de se suicider et le journaliste Rambert
cherche tout d’abord à quitter la ville. Mais le personnage central du
roman, le médecin Rieux, témoigne d’une humanité et d’une solidarité
sans faille envers les hommes. Il lutte contre le mal en soignant les autres
et fait preuve de bonté, de lucidité et d’honnêteté.
Le personnage du médecin Rieux favorise l’identification car il représente
pour le lecteur un modèle d’humanité inspirant et digne d’admiration.
Transition : Si l’identification au personnage de roman est un moteur
romanesque, c’est parfois la non identification avec le personnage qui
intéresse le lecteur

II – La distance avec le personnage de
roman est paradoxalement un moyen de
capter l’attention du lecteur

A – Le lecteur peut être captivé par des
personnages antipathiques

En général, il est impossible à un lecteur de s’identifier à des personnages
négatifs ou immoraux. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’être captivé par
des romans dont le héros est antipathique.
Ainsi, Jean-Baptiste Clamence, le personnage de La Chute, n’est pas
présenté par Albert Camus sous son meilleur jour : sûr de lui, parfois
arrogant, animé par un amour immodéré de soi, ce protagoniste ne
déclenche pas chez le lecteur le processus d’identification. Néanmoins,
son statut d’anti-héros suscite de l’intérêt et donne envie au lecteur de
continuer la lecture pour suivre la chute de ce personnage.
Il en va de même avec les héros des Liaisons dangereuses de Laclos. Le
Vicomte de Valmont et la Marquise de Mertueil sont deux libertins qui
fomentent des plans machiavéliques pour piéger leurs victimes. Le lecteur
ne s’identifie pas à ces personnages immoraux mais il est captivé par leur
capacité à faire le mal et par leur chute inéluctable.
C’est ainsi la non-identification avec les personnages qui tient le lecteur
captif.

B – Les auteurs créent eux-mêmes un effet de
distance entre le lecteur et le personnage quand
ils utilisent l’ironie à l’égard de leurs
personnages.

Dans Le Rouge et le Noir par exemple, Stendhal porte souvent un regard
ironique sur Julien, invitant le lecteur à se détacher du jeune héros.
Lorsque Julien séduit Mme de Rênal au chapitre IX du livre premier, le
narrateur utilise le champ lexical du devoir et du combat ce qui prête à
sourire. De même, Julien promet de se faire « brûler la cervelle » s’il ne
parvient pas à saisir la main de Mme de Rênal. Une réaction aussi extrême
ridiculise le personnage. Le narrateur n’hésite pas à s’inviter dans le récit
pour se moquer des choix du héros, comme au chapitre 14 du livre I où

Julien se montre gauche séducteur : « Sans cette sottise de faire un plan,
l’esprit vif de Julien l’eût bien servi ».
Par le procédé de l’ironie, Stendhal nous invite ainsi à garder de la
distance vis-à-vis de Julien, comme s’il fallait se prévenir de toute
identification pour mieux suivre le parcours de ce personnage-témoin dans
la société du XIXème siècle.

C – C’est parfois la disparition même du
personnage qui constitue l’intérêt d’un roman.

Dans les années 1950, les auteurs du Nouveau Roman font disparaître
leurs personnages derrère les objets ou derrière un sentiment d’étrangeté.
Dans Enfance de Nathalie Sarraute ou L’Amant de Marguerite Duras, les
personnages sont vus en focalisation externe si bien que le lecteur
n’accède pas à leurs pensées. L’auteur s’attache aux ambiances, à
l’atmosphère qui règne entre les personnages et refuse toute approche
psychologique. Cette disparition du personnage, parfois déconcertante,
crée un effet d’énigme intrigant pour le lecteur.
Transition : Le lecteur s’intéresse donc à des romans où l’identification
avec le personnage n’est pas possible, signe que l’intérêt du lecteur pour
l’œuvre ne dépend pas forcément des personnages. Mais alors quels
éléments du roman permettent de capter l’attention du lecteur ?

III – Réduire l’intérêt du lecteur à
l’identification à un personnage ne
permet pas de rendre compte de la
complexité du roman et des multiples
raisons qui motivent le plaisir de la
lecture.

A – Au-delà du personnage, le lecteur s’intéresse
à la peinture sociale proposée par un roman, à
l’opportunité qu’il offre de se plonger dans une
autre époque.

Ainsi, Stendhal considère que le roman est un « miroir qui se promène sur
une grande route » : les personnages ne sont alors plus que les pièces
d’une fresque sociale.
De même, les cinquante pages de description qui ouvrent le Père Goriot
soulignent la volonté de Balzac de prévenir toute identification, toute
séduction à l’égard d’un personnage pour forcer le lecteur à un regard froid
et objectif sur la société.

B – Le lecteur s’intéresse aussi aux romans
vecteurs d’une philosophie car ils portent une
réflexion sur le monde de manière plus captivante
qu’un traité de philosophie.

Un conte comme Candide ou l’optimisme intéresse le lecteur car il
condense la pensée de Voltaire de manière plus enlevée et plaisante qu’un
traité abstrait. Voltaire utilise son récit et ses personnages pour critiquer
l’optimisme du philosophe Leibnitz et le Providentialisme. Il y oppose une
vision lucide des imperfections du monde et affiche sa confiance en
l’homme capable d’améliorer sa condition.

On songe aussi à Sartre qui dans son roman La Nausée nous délivre sa
conception de l’existentialisme. La vie d’Antoine Roquentin, son mal de
vivre et l’expérience qu’il fait de l’absurdité et de la contingence de la vie
nous permet de comprendre la philosophie existentialiste de Sartre de
façon plus concrète et charnelle que ne le ferait un traité de philosophie.
Le roman propose une vision de la condition humaine, qui intéresse le
lecteur.

C – Pour un lecteur, un roman peut aussi avoir un
autre attrait que le fond : celui de la forme, c’est à
dire du style d’écriture.

Le roman permet en effet d’entrer en résonance avec la voix singulière
d’un auteur. Chez Marcel Proust par exemple, ce n’est pas l’intrigue ou le personnage
principal qui est le moteur principal de son œuvre A la recherche du temps
perdu mais plutôt sa peinture du monde telle que la conscience subjective
l’appréhende. Proust écrit de longues phrases complexes, « vivantes », qui
épousent le rythme de le pensée et des émotions. C’est la singularité de
son style et la musicalité de ses longues phrases qui enchantent les
lecteurs et font de Proust l’un des auteurs les plus traduits dans le monde.
Au contraire de Proust, Jean Giono écrit le plus souvent avec des phrases
courtes. Dans son roman Regain par exemple, il donne en peu de mots
des images fortes, lyriques et poétiques de la nature qui touchent le
lecteur.

Dans un autre registre, le style oralisé et argotique de Céline dans son
roman Voyage au bout de la nuit choque et fascine à la fois. C’est cette
écriture brutale et convulsive qui est le moteur du roman et entraîne le
lecteur dans cette épopée moderne.

Conclusion

Les lecteurs étant divers et le roman étant un genre aux formes multiples,
les raisons pour lesquelles un lecteur peut être captivé par un roman sont
nombreuses : identification aux personnages ou au contraire distanciation,
découverte de la société, de la nature humaine, d’une vision du monde,
d’une époque historique, ou encore attrait pour le style d’un auteur. Le
personnage n’est donc pas forcément le centre de gravité du roman.
[Bilan du raisonnement et réponse finale à la question]
La tendance contemporaine à l’autofiction, dans laquelle l’auteur met en
scène sa propre vie de façon romancée, n’est-elle toutefois pas le signe du
renouveau du personnage dans les romans du XXIème siècle ?
[ouverture]

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