Français au BAC : Exemple de dissertation corrigée sur le roman (3)

Introduction

Romain Gary écrit : « Le roman, c’est la fraternité : on se met dans la peau
des autres ». En effet, la lecture d’un roman permet au lecteur de sortir de
sa sphère individuelle et de se projeter vers les autres en s’immergeant
dans la vie et les pensées de personnages fictifs. En éprouvant de la
compassion pour ces derniers ou en s’identifiant à eux, le lecteur vit une
expérience de fraternité et se frotte à l’altérité.
S’il est vrai que le roman a pour fonction de permettre au lecteur de se
mettre dans la peau des autres et de comprendre leur vie (I), nous verrons
aussi que le roman est un instrument de distanciation avec les autres (II).
Mais le roman ne serait-il pas finalement un moyen de s’évader de soimême et des autres ? (III)

I – Le roman permet de se mettre dans la
peau de quelqu’un d’autre et de
comprendre sa vie

A – L’auteur et le lecteur se mettent dans la peau
du personnage en adoptant son point de vue
Exemple

– Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar : Ce roman est présenté
comme une lettre de l’Empereur Hadrien à son successeur Marc-Aurèle.
Par ce procédé, Marguerite Yourcenar nous fait entrer dans les pensées
intimes de l’Empereur Hadrien qui livre les ressorts de son âme et nous
permet de comprendre sa vision des choses.

– Marguerite Yourcenar a fait de longues recherches pour se mettre dans
la peau de son personnage. Elle confie dans ses notes « L’une des
meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa
bibliothèque. »

B – Le lecteur se met dans la peau d’un
personnage de roman en s’identifiant à lui

– Le processus d’identification aux personnages de roman permet
d’approfondir l’expérience de l’altérité.

Exemple :

– Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar : ce roman parcourt toute
la vie d’Hadrien : sa jeunesse, sa formation, son ascension politique,
l’exercice du pouvoir et l’approche de la mort. Le lecteur suit pas-à-pas le
destin du personnage et découvre ses pensées. Il peut s’identifier à lui.
– La compassion que le lecteur peut éprouver à l’égard d’un personnage
lui permet d’expérimenter le sentiment de fraternité.

Exemple :

– Madame Bovary, Flaubert : Emma Bovary est une jeune femme
ordinaire, rêveuse, qui croit au Prince Charmant des romans historiques et
sentimentaux. Incapable de s’adapter à la vie plate et prosaïque que lui
offre son mari Charles, elle souffre, prend des amants et s’endette. Le
lecteur éprouve de la compassion et donc de la fraternité pour elle.

C – Le roman est un miroir de la vie sociale qui
permet de comprendre la vie des autres

– Le roman réaliste fait une description objective et précise de la vie
des autres et nous permet ainsi de mieux comprendre ce qu’ils vivent.

Exemple

– Germinal, Zola : Emile Zola décrit avec précision les conditions de la vie
ouvrière dans les mines du Nord. Les registre tragique et épique dans ce
roman suscitent l’empathie et l’admiration pour les ouvriers, créant un
sentiment de fraternité avec les personnages.

II – Le roman peut aussi nous distancier
des autres

A – La mise à distance par l’ironie
– Quand l’auteur se montre ironique vis à vis de son personnage, il nous
invite à porter un regard distancié sur ce personnage. Cette ironie crée
alors une complicité entre l’auteur et le lecteur, aux dépens du
personnage.

Exemple :
– La Chartreuse de Parme, Stendhal : Stendhal fait preuve d’une ironie
affectueuse envers Fabrice Del Dongo. Emprisonné, Fabrice est émerveillé
par la vue de sa cellule d’où il aperçoit Clélia dont il est amoureux.
Stendhal commente ironiquement : « Notre héros se laissait charmer par
les douceurs de la prison ». Il nous invite à une mise à distance avec le
personnage, créant une complicité entre le narrateur et le lecteur.

B – La mise à distance par l’observation

– Pour les écrivains naturalistes, le roman est comme un laboratoire
d’expérimentation scientifique qui permet de comprendre les lois qui
régissent la vie humaine et la vie sociale. Le lecteur est alors un
observateur.

Exemple :
– Bel-Ami, Maupassant : Georges Duroy est un anti-héros médiocre, un
arriviste sans scrupule qui utilise les femmes pour gravir les échelons de la
société. Son ascension sociale reflète les mœurs de la société parisienne
à la fin du XIXème siècle. Le lecteur ne fraternise pas avec Georges Duroy,
personnage méprisable, mais il observe la société parisienne et le monde
de la presse au XIXème siècle.

C – Le roman est un instrument de la
connaissance de soi

Exemple

– Bouvard et Pécuchet, Flaubert : les deux personnages éponymes
s’expriment à travers des expressions banales qui soulignent nos préjugés.
Flaubert nous invite, à travers ses personnages de fiction (c’est à dire les
autres), à mieux nous connaître et à nous regarder avec un esprit critique.
– Lettres Persanes, Montesquieu : Les deux persans Usbek et Rica
portent un regard faussement naïf sur l’Europe pour faire ressortir le
ridicule des mœurs et institutions occidentales. Le roman amène le lecteur
du XVIIIème siècle à porter sur lui-même un regard libre et à se détacher
des préjugés.

III – Le roman : s’évader de soi et des
autres

A – Le roman, une aventure imaginaire
– Le récit et le roman permettent de nous évader dans un monde
imaginaire.

Exemple :
– Candide, Voltaire : Ce récit nous place dans l’univers du conte. Même si
par moment la fiction et le réel se rencontrent (désastre de Lisbonne de
1755, missions jésuites,…), l’exotisme de l’épisode d’Eldorado permet au
lecteur de s’évader.

– La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé : L’histoire nous transporte
dans un univers imaginaire et utopique qui fait songer aux mythiques
grands royaumes africains du Moyen-Âge. Les descriptions hyperboliques
et le registre merveilleux du premier chapitre ne sont pas sans faire penser
à l’Eldorado de Candide.

B – Le roman comme expérience d’étrangeté visà-vis de l’autre et de soi-même
Le roman peut aller jusqu’à abolir la notion même de personnage. Il crée
alors un effet d’étrangeté et d’irréalité vis-à-vis des autres.

Exemple :
– L’Amant, Marguerite Duras : Marguerite Duras adopte une écriture
cinématographique, extérieure à la pensée des personnages. Les
personnages comptent peu : c’est l’étrangeté qui domine.

– Les choses, Georges Perec : Dans les années 1960, un jeune couple
parisien est obnubilé par l’idée d’acquérir des objets pour leur confort
matériel. Les personnages disparaissent derrière la description des
choses.

C – Le roman, la « musique » d’un auteur

– Le roman est davantage la rencontre avec la langue d’un auteur que la
rencontre avec un personnage.

Exemple :
– Voyage au bout de la nuit, Céline : Ce roman captive par la force de sa
langue orale qui dénonce la guerre, la colonisation, le taylorisme.
– Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar : On retrouve dans ce
roman la musicalité de l’écriture antique à travers une écriture très
classique et des épithètes homériques. Le roman permet alors de
fraterniser davantage avec la voix de l’ auteur que celle du personnage.

Conclusion :
Le roman n’a pas pour unique fonction de permettre au lecteur de se
mettre dans la peau des autres et de comprendre leur vie. Il permet aussi
de porter un regard distancié sur le monde, sur la société et sur soi-même.
Il donne enfin la possibilité de fraterniser avec une voix singulière, celle de
l’auteur qui, à travers sa prose, dévoile sa « musique » intérieure et délivre
sa propre vision de la vie. [Bilan et réponse à la question]
Ne pourrait-on considérer dès lors que, ainsi que le disait Jean Ricardou
en 1963, « le roman n’est désormais plus l’écriture d’une aventure mais
l’aventure d’une écriture » ? [Ouverture]

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