Dissertation : Le romancier doit-il nécessairement faire de ses personnages des êtres extraordinaires ?

Sujet :
Le romancier doit-il nécessairement faire de ses
personnages des êtres extraordinaires ?

Le conte est par excellence le genre de l’extraordinaire : on y trouve
beaucoup de magie et des aventures incroyables. Mais ce modèle est-il
applicable au roman ?
Définition des mots du sujet
Il y a trois notions à prendre en compte dans ce sujet, pour ne pas faire
de hors-sujet :
1 – Le sujet parle du « romancier », il faut donc s’en tenir au genre
romanesque : pas de théâtre, pas de poésie, et pas d’apologue
(n’oublions pas que Candide est un conte philosophique, pas un roman !).
2 – La deuxième notion du sujet, c’est le « personnage », le sujet pousse
donc à réfléchir à l’évolution du personnage : puisqu’on pose la question,
c’est qu’il n’a pas toujours été extraordinaire. La question sous-jacente
est donc de savoir comment, pourquoi et en quelles circonstances le
personnage peut ne pas être extraordinaire.
3 – La dernière définition, c’est savoir ce que veut dire « êtres
extraordinaires » : il s’agit de personnages qui auront une vie différente
de celle des hommes normaux, donc du lecteur. Il arrive à ces
personnages des choses hors du commun, des aventures, des
rencontres magiques, etc. Cela peut aussi être un personnage qui a une
caractéristique extraordinaire (force surhumaine, magie, etc). Il faudra
se demander pourquoi on cherche à rendre des personnages hors du
commun.
Problématique :
Le romancier doit-il nécessairement faire de ses personnages des êtres
extraordinaires ? (Il est accepté de reprendre la problématique proposée
par le sujet).
Qu’attend le lecteur des personnages que le romancier lui présente ?
(C’est mieux de reformuler le sujet).
Présentation du plan de dissertation :
Dans un premier temps, nous verrons que si les personnages
extraordinaires sont agréables à la lecture, ne faire que des personnages
hors du commun manque de réalisme. Dans un dernier temps, nous
verrons que les romanciers ont parfois même cherché à créer des
personnages négatifs : malades, idiots, fous… 
I – Les personnages extraordinaires sont
agréables
A – Un personnage qui fait rêver
Le registre merveilleux permet de faire rêver, en proposant au lecteur
des mondes pleins de magie, qui seront agréables à lire et à découvrir.
Dans le roman de Lewis Carroll, Alice au pays des Merveilles, Alice
bascule très vite dans un monde nouveau pour elle comme pour le lecteur
: de chapitre en chapitre, ils découvrent ce monde rêvé (ou
cauchemardesque) avec étonnement.
C’est cet étonnement qui est intéressant dans le personnage
extraordinaire : se confronter à un monde inconnu nous permet de
remettre en cause notre vision de la vie, et de prendre du recul.
C’est d’ailleurs la position d’Alice dans le roman : elle ne s’arrête jamais
de demander pourquoi telle chose inconnue a tel effet sur ce monde.
Un roman qui fait rêver grâce à un personnage extraordinaire permet de
réfléchir au monde qui nous entoure parce qu’on est mis face à une réalité
différente.
B – Un personnage qui fait voyager
Nous étudierons l’exemple du texte A du corpus : Sido, de Colette.
Le cadre posé par les phrases d’introduction fait penser que le
personnage ne sera pas extraordinaire. Pourtant, la mère devient une
magicienne à travers le souvenir de la narratrice : on relève un
vocabulaire de l’exotisme (« denrées exotiques », « la momie exhumée »,
« la musique birmane », « comestibles coloniaux ») et du luxe (« essence
à la violette », « des gants très chers », « cordon d’or », « ficelle d’or », «
scellé d’or »).
Le texte montre que le cadre de vie de la famille est « modeste », comme
le manteau de la mère : le père est maigre (maladie ou pauvreté ?), et la
mère part seule à Paris, ce qui indique que la famille n’a peut être pas les
moyens d’emmener tout le monde.

Mais ce que rapporte la mère fait voyager la narratrice (champ lexical de
l’odorat : « essence à la violette », « parfum châtain », « l’effusion »), et par
la même occasion, le lecteur qui s’y identifie.
C’est donc le procédé d’identification au personnage qui rend les
personnages extraordinaires agréables : il permet au lecteur de vivre et de
ressentir les mêmes choses que le personnage-narrateur.
C – Un personnage qui fait s’évader
Le roman Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas est un bon
exemple de personnage qui fait s’évader, parce qu’il met en scène un
personnage heureux, Dantès, qui va se marier à une femme qu’il aime, et
qui va devenir capitaine du bateau sur lequel il travaille. Mais ses « amis »
sont jaloux et montent un complot pour le faire emprisonner.
Ce roman est donc un roman d’évasion : Dantès finit par s’échapper de
sa prison et par trouver un trésor. Il revient à Paris pour se venger des
comploteurs, sous le nom de « Comte de Monte-Cristo ».
Ce roman nous fait nous évader parce qu’il représente une évasion d’un
lieu où personne ne peut normalement s’échapper. Il y a aussi un évasion
grâce au pouvoir de l’argent : le comte est très riche et peut tout
s’acheter, le lecteur ressent une libération par procuration, parce qu’il lit
l’histoire d’un homme qui peut tout se permettre grâce à son argent.
Transition :
Cependant les lecteurs veulent aussi voir des romans qui présentent des
personnages réalistes, car si l’extraordinaire permet de voyager, le
réalisme permet d’apprendre et de comprendre le monde qui nous entoure.
II – Les personnages peuvent aussi
refléter la vie quotidienne du lecteur
A- Le personnage réaliste
Le texte C du corpus, Un roi sans divertissement, de Giono, montre un
exemple de personnage réaliste.
En effet, l’extrait est un souvenir, qui pourrait donc être complètement
déformé par le temps. La description qui est faite est pourtant réaliste, ce
qui donne une impression de vraisemblance. 

Des noms précis de lieux réels sont cités (« Saint Baudille » x2, « Mens
»), et l’emploi du passé composé a une fonction descriptive : il s’agit de
montrer des événements communs de la vie de tous les jours.
De plus, le portrait ne vient que très tard dans l’extrait : on décrit d’abord
l’environnement de Mme Tim avant d’en venir à elle. C’est parce qu’à
partir du XIXe siècle, le roman choisit d’arrêter d’utiliser des personnagesarchétypes et choisit d’en faire type sociaux : ils sont inscrits dans un
temps et un espace précis qui a des conséquences sur leur façon d’agir.
Ici, avant son portrait, c’est le fait qu’elle est grand-mère, qu’elle aime les
fêtes qui compte, parce que cela montre comment elle réagit face à son
environnement. Même son portrait est orienté sur son milieu social, car il
est décrit comme précieux (« opulente », « fond énorme » ce qui veut dire
qu’il faut beaucoup de tissu pour faire la robe, et donc qu’elle a coûté cher,
« corset agrémenté »).
Il ne s’agit plus de voir le personnage dans son essence mais de le
comprendre en situation, dans sa vie. Cela donne un aspect plus
ordinaire au personnage, mais cela apprend au lecteur à voir des réalités
vraisemblables qu’il ne connaît pas.
B- Le personnage psychologique
Nous étudierons le texte B du corpus, extrait des Raisins de la colère de
Steinbeck. Il s’agit d’un portrait de la mère de famille, mais celui-ci n’est
pas seulement objectif, comme dans le texte précédent : il entre dans la
tête du personnage décrit, et cherche à interpréter le caractère.
La volonté de vraisemblance va donc plus loin, puisqu’elle ne veut plus
juste mettre en place des apparences qui ont l’air vraies, mais aussi de la
vraisemblance psychologique.
Le portrait est d’abord physique (le visage, les yeux) puis il devient
psychologique : « ses yeux noisette semblaient avoir connu toutes les
tragédies possibles ».
Le personnage n’est pas extraordinaire : il ne lui arrive que des malheurs
de la vie quotidienne.
L’enjeu n’est pas de faire rêver le lecteur, ou de le faire s’évader, mais de
montrer comment fonctionne une famille. Ici, c’est la mère qui tient tout 
le monde parce qu’elle est très forte psychologiquement.
De plus, on apprend que son métier est « guérisseuse », il y a donc un lien
entre sa fonction de gardienne de la famille (métaphore de la citadelle) et
son métier qui consiste à soigner les gens.
Le lecteur, grâce à ce personnage commun, même s’il semble très
courageux, apprend la psychologie pendant sa lecture.
C – Le personnage normal
L’anti-héros est un type de personnage « normal », dont on attend
normalement rien de plus qu’une vie classique, mais qui devient un héros
presque malgré lui, et se révèle dans l’épreuve du roman.
Par exemple, dans Ravage de René Barjavel, le monde s’écroule suite à
une panne mondiale d’électricité. François Deschamp, un garçon assez
quelconque même s’il est plutôt grand et fort, sauve un groupe de
personnes de Paris, qui est devenue une zone très dangereuse. Ils partent
donc en expédition vers la province où ils survivent.
Ces personnages normaux permettent au lecteur de mieux se projeter
dans l’histoire, car elle arrive à quelqu’un d’aussi ordinaire que lui, et qui
vit quand même des aventures.
Transition :
Les personnages que nous avons étudiés restent positifs, même si ce
sont des anti-héros. En réalité, les personnages créés par les romanciers
ne le sont pas toujours, qu’ils soient ordinaires ou extraordinaires. (La
troisième partie est un élargissement de la question, qu’on appelle le
dépassement).
III – Un nouveau personnage : le
personnage négatif
A – Le personnage méchant
Dans Splendeurs et misère d’une courtisane, de Balzac, un
personnage méchant devient un des personnages principaux.
Il est pourtant ouvertement mauvais : il est manipulateur, ancien
bagnard, et il pousse l’héroïne à la prostitution. 
Pourtant, sans sa ruse, les protagonistes ne survivraient pas, et ce n’est
que parce qu’il est retardé dans son plan que le héros meure.
La mise en place de personnages de méchants comme héros permet de
nuancer les psychologies et de se rapprocher de la vie : personne n’est
tout blanc ou tout noir.
Le lecteur apprend à s’identifier à des personnages auxquels il n’a pas
l’habitude de croire.
B – Le personnage malade
Le Voyage au bout de la nuit de Céline propose une autre définition du
personnage : le personnage malade.
Le lecteur suit Bardamu, misanthrope et paranoïaque. Tout le récit est
conditionné par ces caractéristiques du personnage.
Cela apporte au roman une nouvelle perception des choses que le
lecteur croit d’abord objectif puisqu’il a l’habitude de suivre des
personnages sains.
Au fur et à mesure que Bardamu rencontre des gens, le lecteur perçoit ce
côté malade et malsain du personnage principal, et apprend à prendre
du recul par rapport à la fiction proposée.
C – Le personnage idiot
Le XXe siècle ne veut plus du personnage psychologique, et cherche à
réinventer la figure du héros.
Dans le Journal intime de Sally Mara, Raymond Queneau écrit le faux
journal intime d’une jeune Irlandaise très naïve, et complètement idiote.
Le lecteur est obligé de se fier à la subjectivité de Sally car il n’y a pas
d’autre narrateur que le personnage dans un journal intime.
Ici, le personnage devient plus que banal, il devient déficient. Cela pousse
le lecteur à se questionner sur la validité du personnage, et sur la raison
qui a poussé Queneau à utiliser un personnage idiot.

Cela permet de voir le monde à travers des yeux complètement différent,
et donc une autre sorte de dépaysement que le merveilleux.
Conclusion de la dissertation
Résumé et réponse à la problématique :
Le roman permet de développer beaucoup de personnages différents.
Ceux qui sont extraordinaires permettent de se confronter à un monde
nouveau, ou tout simplement de s’évader de son monde.
Certains personnages sont réalistes, et permettent d’étudier les
différences et les nuances de la condition humaine.
Les personnages négatifs reviennent à une des fonctions des
personnages extraordinaires : se confronter à autre chose que ce qu’on
connaît. Sauf que ce n’est pas le monde de référence qui change, mais la
vision du monde du personnage, qui est pervertie par la maladie ou sa
méchanceté.
Ouverture :
Certaines représentations de personnages ont été jugées indécentes et
condamnées par la justice, alors qu’ils ne sont que des êtres inventés.
On pense par exemple à Mme Bovary, qui a été vue comme un
personnage obscène qui encourage ses lecteurs (et surtout lectrices) à
l’adultère. Il ne faut donc pas oublier de faire la différence entre les
pensées et paroles du personnage, et celles de l’auteur.

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