Philosophie : Etat , Politique , Morale , et Violence

ÉTAT, POLITIQUE, MORALE ET VIOLENCE

                                                              ÉTAT, POLITIQUE, MORALE ET VIOLENCE

 

 L’État peut être défini comme l’ensemble des institutions qui organisent une société dans un territoire donné. Toutes les sociétés n’ont pas connu d’État : la société primitive n’en avait pas, car l’organisation politique sous forme étatique n’y était pas nécessaire. L’autorité de l’État est exercée par des hommes politiques censés agir au nom de la société. C’est pourquoi la politique est aussi l’exercice ou la conquête de l’autorité de l’État : la façon dont la politique doit se faire est cependant le véritable casse-tête de la philosophie politique. La politique peut être définie comme un ensemble de mécanismes destinés à conquérir ou à conserver le pouvoir étatique La politique est-elle une sphère où l’efficacité prime sur tout, ou, au contraire doit-elle se soumettre à certaines fins en soi ?

 La complexité des rapports entre la politique et la morale

« Tous les arts ont produit des merveilles : l’art politique a produit des monstres » Louis Antoine de Saint-Just

La politique peut être définie comme un ensemble de mécanismes destinés à conquérir ou à conserver le pouvoir étatique. L’État est l’ensemble des institutions qui organisent une société dans un territoire donné et son autorité est exercée par des hommes politiques censés agir au nom de la société. C’est pourquoi la politique est aussi l’exercice ou la conquête de l’autorité de l’État : la façon dont la politique doit se faire est cependant le véritable casse-tête de la philosophie politique. La politique est-elle une sphère où l’efficacité prime sur tout, ou, au contraire doit-elle se soumettre à certaines fins en soi ?

Pour certains, la politique est un art en ceci qu’elle exige de la créativité, de l’imagination, de la spontanéité et de la promptitude à réagir face à l’imprévu. Dans chaque situation c’est le génie qui permet à l’homme politique de s’en sortir : en tant qu’art la politique ne réside pas sur des règles immuables prédéfinies. Elle ne repose pas non plus sur une science parfaite dont l’application garantirait le succès. En parlant de l’art le philosophe français Alain a dit que « le portrait naît sous le pinceau » pour suggérer la dose d’incertitude et de hasard qui accompagne la création artistique ; en  le parodiant on aurait pu dire que la politique  est comme la météo à la montagne : elle change de façon brusque, inattendue et souvent hors de toute logique.

Pour d’autres cependant la politique est de l’art, mais au sens technique du terme : un ensemble de moyens mis en œuvre pour accéder à une fin. La politique relèverait de la technique pour deux raisons.

-La première raison est que la politique doit reposer sur une connaissance positive de l’homme et non sur des représentations abstraites. Autrement dit, dans la mesure où la politique s’applique aux hommes, il importe de connaître ces derniers tels qu’ils sont réellement et non tels qu’on voudrait qu’ils soient : il faut partir de la réalité concrète de l’homme.

-La deuxième raison pour laquelle la politique appartiendrait au domaine de la technique est qu’elle vise essentiellement l’efficacité et, à ce titre, elle n’a pas à se fonder sur les considérations morales.

Il faut néanmoins reconnaître que la politique et la morale sont des sphères différentes, mais ayant des affinités très complexes. La morale et la politique ont, en dernière instance, la même finalité : à savoir l’épanouissement et la réalisation de l’homme.

-La morale peut se définir comme l’ensemble des règles de conduites et des valeurs propres à un groupe social, ethnique ou socioprofessionnel. Cette définition de la morale laisse entrevoir le principe du relativisme moral : ce qui est bien pour les uns peut ne pas l’être pour les autres. Ramené à la sphère politique cela suggère que ce qu’un groupe, une classe sociale, une corporation ou même une région administrative, conçoit comme un impératif, une utilité voire une nécessité politique, peut n’être que luxe pour les autres. Les notions d’égalité, de justice, etc. sont d’ordre moral, mais leur prise en charge en politique est très difficile.

-On peut aussi définir la morale comme un ensemble de valeurs universellement observables parce que fondées sur la raison : telle est par exemple la morale du devoir théorisée par Kant. Cette morale est universelle et se fonde sur le désintéressement : son commandement est un impératif catégorique, c’est-à-dire inconditionnel. La première règle de l’impératif catégorique est : « Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle ». Un tel impératif peut-il fonder l’action politique qui est par essence contingente ?

Ces deux définitions de la morale montrent que la politique a besoin de la morale, car les hommes sont des sujets moraux : ils ont une certaine dignité à respecter. La politique devrait donc exiger de la vertu, de l’abnégation, de l’amour et de la générosité. Elle a d’autant plus besoin de la morale que dès lors que celle-ci est évacuée de la politique, cette dernière se travestit en rapports de forces où le seul gage de légitimité devient la force. L’homme politique a donc besoin de fonder l’obligation des citoyens à lui obéir sur la légitimité, or celle-ci est une notion morale. Kant a bien résumé ce principe lorsqu’il a dit que « la vraie politique ne pourra donc pas faire un pas avant d’avoir rendu hommage à la morale » : cela suggère que la politique a besoin de certaines normes ou valeurs nécessaires en elles-mêmes et en fonction desquelles on évaluera la pratique politique. Si la morale est exclue de la politique, c’est le règne de la loi du plus fort et, dans ce cas, l’autorité ne peut nullement exiger du citoyen un quelconque respect.

Cependant fonder l’action politique sur la morale est une entreprise périlleuse qui achoppe sur deux obstacles majeurs.

-Le premier obstacle est lié au relativisme moral : ce qui est bien dans un contexte social peut s’avérer nuisible dans un autre contexte social. Sous ce rapport, aucun homme politique ne peut fonder son action sur la vertu ; et aucun État ne peut être juste, c’est-à-dire équitable. Et le problème controversé du fondement de la morale constitue de surcroît une difficulté à fonder l’action politique sur la morale. Qu’est ce qui fonde, en effet, la morale ? Le Sentiment ? (Rousseau, Schopenhauer) L’intérêt ? (J. Bentham) La raison (Kant) ?

-Le second obstacle est lié à l’impuissance de la morale à obliger les hommes sur qui s’exerce le pouvoir politique à faire le bien : sans la politique la morale ne marche pas. L’universalité de la forme du commandement moral ne tient pas compte deux facteurs : d’abord les conjonctures politiques ne sont jamais les mêmes, ensuite les hommes ne se laissent pas gouverner par la simple norme morale. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre Hegel lorsqu’il définit l’État comme l’« Idée morale en acte » : cela veut dire que l’État est une extériorisation de la morale en puissance coercitive externe. Autrement dit, puisque la morale ne suffit pas il faut recourir à la force, à la violence pour contraindre les hommes à faire ce que la morale leur dicte. La violence est synonyme de force ou d’abus de force ; et sa relation à la morale et à la politique est ambiguë. Il y a diverses formes de violence : physique, morale ou verbale, symbolique, etc. Dans l’éducation de nos enfants comme dans la gestion de la cité nous recourons constamment à la violence comme moyen de corriger, de faire entendre raison. Dans le champ politique, il va de soi que la violence est la trame de fond de l’action politique. Max Weber a bien résumé l’importance de la violence et l’impuissance de la morale lorsqu’il dit « celui qui veut le salut de son âme ou sauver celle des autres doit donc éviter les chemins de la politique qui, par vocation, cherche à accomplir d’autres tâches très différentes, dont on ne peut venir à bout que par la violence ». Il faut reconnaître que si la morale suffisait on se passerait de l’État et, par conséquent, de la politique. Machiavel a parfaitement bien exprimé cela en faisant observer que tous les prophètes armés furent vainqueurs, mais que tous ceux  qui n’étaient pas armés furent déconfits. Le saint est la figure de la morale, mais l’histoire montre que les saints ont été obligés de faire recours à la violence pour faire accepter les valeurs et idées dont ils étaient porteurs. C’est la nature humaine elle-même qui exige qu’on recoure à la violence pour rendre effective l’autorité sur les hommes. Même nos parents auxquels nous vouons respect, amour et admiration, sont obligés parfois de recourir à la violence, à plus forte raison un État. Machiavel a donc raison de rappeler que d’après l’expérience et l’histoire « les fondements principaux des États hier comme aujourd’hui sont de deux sortes : les bonnes lois et les bonnes armes ». On ne peut pas faire respecter la loi sans faire usage de la force, or une société humaine ne peut fonctionner sans lois : « ubi societas ibi jus ». On demande toujours à l’homme politique de faire preuve d’abnégation alors que la réalité humaine est par nature encline à l’intérêt. La diplomatie qui est la politique extérieure des pays est souvent considérée comme l’alternative de la violence en politique, mais la réalité politique prouve là encore que c’est l’a violence qui garantit le succès. L’on se rappellera à ce titre la célèbre formule de Bismarck selon laquelle « la diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ». KITANE.unblog.fr

Démocratie et souveraineté du peuple : une utopie ?

Dans le système démocratique la relation controversée entre politique et violence est théoriquement dépassée par le principe de la souveraineté populaire : « demos cratos ». Si le peuple est celui qui, à la fois, gouverne et obéit, la violence est réduite à une proportion négligeable et elle est toujours légitime, car comme le dit Rousseau « si quelqu’un ne veut pas être libre, il faut le forcer à être libre ». Si l’État est le fruit ou la conséquence du contrat social, son pouvoir est légitime et la force qu’il requiert l’est tout autant. L’obéissance est ici perçue comme étant une forme de liberté, car le citoyen est auteur ou inspirateur de la loi à laquelle il obéit. La démocratie prend cependant des formes diverses : directe ou représentative.

-La démocratie directe est historiquement impossible à réaliser sauf dans les anciennes cités grecques : il est humainement inconcevable de voir des millions d’hommes se gouverner directement ; d’où le système de la représentation.

-La démocratie représentative est une participation indirecte, car le peuple, dans sa diversité, est représenté par des assemblées, des corporations, des partis politiques et des syndicats. C’est d’ailleurs le principe de la représentation que justifie la séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu : pour éviter une concentration et un abus de pouvoir il faut que « par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ». Mais comme le montre Rousseau le système de la représentation est propice à l’aliénation des peuples «  À l’instant où le peuple se donne des Représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus ». En effet, rien ne garantit aux citoyens que ses représentants (dans les assemblées ou dans les syndicats) agissent toujours conformément à l’intérêt général : il arrive que des élus ou des syndicalistes trahissent la volonté populaire ou remplacent l’intérêt général par le leur. Mais la plus grande tare de la démocratie est sa tendance fatale à se muer en anarchie : le sentiment de liberté incline souvent à la licence, à l’abus de liberté. Il y a souvent, au nom du principe de la liberté, une atomisation de la société en groupuscules incontrôlables, et l’unité et la stabilité du pays sont souvent menacées. On comprend dès lors le pessimisme de Rousseau quand il affirme que : « S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». La démocratie est donc compliquée à réaliser à cause des imperfections humaines : quelle que soit la nature des lois, on peut toujours tricher et ruser avec la démocratie. Il y a aussi le risque d’une sorte transformation sournoise de la démocratie en tyrannie douce par ce qu’Alexis de Tocqueville appelle « la tyrannie de l’avis majoritaire ». En effet, le principe selon lequel l’avis majoritaire l’emporte en démocratie, une fois intériorisé fonctionne dans la conscience du citoyen comme une norme sacrée, incontestée inclinant automatiquement au réflexe du conformisme. Ainsi y a-t-il un conformisme généralisé qui centralise le pouvoir qui devient de plus en plus absolu par une « démission généralisé »

Ces tares de la démocratie inclinent un penseur comme Hobbes à préférer la monarchie absolue à la démocratie : elle est plus homogène et plus cohérente que la démocratie. Á l’image du corps humain dont la cohésion repose sur l’existence d’une seule tête, le corps social gagnerait à avoir une seule « tête » (autorité) : plusieurs têtes impliquent plusieurs volontés et, par conséquent, plusieurs décisions et  la déchirure. Mais le risque évident d’une telle forme de gouvernement c’est le despotisme qui règne par l’arbitraire et la violence. Il semble donc qu’il n’y a pas de forme de gouvernement parfaite : on pourrait même penser en toute rigueur que tout gouvernement n’est pas bon pour tous les peuples et toutes les époques.

 

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